Piscine (pas d’eau)

De Mark Ravenhill, traduction Jean-Marc Lanteri

Mise en scène Cécile Auxire-Marmouget

Avec Cécile Auxire-Marmouget, David Ayala, Frédéric Giroud, Olivier Kikteff et Caroline L’Huillier- Combal

Jane Joyet : Scénographie et costumes, Olivier Modol : création lumière et scénographie


Piscine (Pas d’eau) Teaser par ciegazolinetheatre

Une comédie noire sur fond bleu.

La terrifiante histoire d’amitié d’un collectif d’artistes des années 80 qui vous raconte aujourd’hui avec nostalgie, drôlerie, énergie et férocité, comment ils se sont retrouvés un soir autour d’une luxueuse piscine pour fêter la réussite de l’une de leur camarade de squatt. Un plongeon dans les eaux troubles de l’âme humaine. Comédiens, musiciens, danseuse et photographe, racontent avec drôlerie, au rythme des musiques originales et des images, les retrouvailles mouvementées de cette bande d’amis.

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C’est avant tout une pièce sur l’amitié. Ravenhill écrit un monologue pour un groupe de ‘performers’, un monologue à plusieurs voix ; le groupe est le personnage principal. Un limpide travail d’écriture où le groupe se raconte dans une structure dramatique remarquable qui conjugue à travers les temps et les modes cette histoire d’amitié d’un collectif d’artistes des années 80. Inspiré de la célèbre artiste- photographe Nan Goldin. Écrit en
collaboration avec une troupe de danseurs-comédiens britannique, dans la mouvance du «Physical theater», l’auteur a donné la parole à ce groupe qui avait envie de raconter son histoire au travers de leurs rivalités, contradictions, petites trahisons et de leur difficulté en tant qu’artistes (et personnes) à exister au sein du groupe et à se positionner dans le monde de l’art. C’est parfois à coups de poings qu’il faut se frapper la poitrine pour avouer la rancoeur, l’échec. Se questionner: Sommes-nous toujours fidèles à notre engagement d’artistes ? A nous-mêmes ? Où se situe la frontière entre utopie et fumisterie ? Est-ce que nous participons à une vaste fumisterie ? Ce pourrait être l’histoire d’un groupe de rock, d’une troupe de danseurs, d’un collectif des arts de la rue ou du cirque et bien sûr d’une compagnie de théâtre… J’ai convié sur scène pour faire exister ce groupe, comédiens, danseuse, musiciens, photographe et régisseur pour chacun raconte avec son langage…Jai partitionné ce récit essentiellement pour les deux comédiens. Les supports (écran vidéo ou d’ordinateur) sont des éléments concrets de la scénographie qui évoque
au fil de la narration, l’hôpital, le studio, et bien sûr la piscine…
Cécile Auxire-marmouget

Piscine (pas d’eau). Le titre résume à lui seul la fable ; une fable sans aucune morale.
Une femme, une artiste en pleine ascension dans le monde de l’art contemporain, plonge dans sa piscine. La piscine est vide, l’accident est absurde : piscine, pas d’eau.
La piscine, symbole de la réussite, est vidée de son eau et de son sens.
Autour du corps abîmé au fond du bassin, le groupe, ses amis, son ancien collectif. Qui n’a jamais accepté que l’une d’entre eux, elle, décolle dans le monde de l’art. Il y aurait une loi naturelle selon laquelle si l’un s’élève, les autres déclinent…
Un plongeon dans la débauche ordinaire, la drogue, la maladie, la dépression…
Dans un ultime élan de jeunesse, lors de la traditionnelle baignade à poil !

Ce spectacle avait été sélectionné par Le bruit du Off dans le Top Ten des spectacles In et Off Avignon 2012.

Le bruit du Off (Avignon 2012)
Un groupe d’artistes underground tout droit sorti de l’oeil du cyclope nous raconte son histoire.
Comment trois sont morts du sida et de la drogue, et comment une seule des artistes du groupe à
réussi à devenir une star internationale. Elle invite tous ses copains never-has à faire un saut dans sa
nouvelle piscine. La pièce met en pratique l’expression : «le malheur des uns fait le bonheur des
autres» et parle de la jalousie, sentiment si humain que nous connaissons tous un jour ou l’autre. La
mise en scène est pertinente, juste et iconoclaste ; le spectacle est un brin trash, tout en restant
toujours sur la corde, sans jamais tomber dans le convenu ni dans le vulgaire, sans doute grâce au
second degré qui se dégage des comédiens qui se font tour à tour personnage ou narrateur. Cela
rajoute une distance qui allège le propos, même si la pièce est vraiment prenante grâce à
l’interprétation magistrale du duo de tête : Cécile Auxire elle- même et Christophe Mirabel, beaux
dans leur laideur, sympathiques dans leur antipathie. Bruno Paternot

Articles de presse suite aux représentations au

Théâtre des Célestins à Lyon du 3 au 13 février 2016

Les dessous peu reluisants d’une illusion

Par Trina Mounier, Les Trois Coups

Trois ans et demi ont passé depuis une première version dont Florent Coudeyrat s’était fait l’écho. Cécile Auxire‑Marmouget revient avec une nouvelle distribution à cette « Piscine (pas d’eau) » de l’écrivain britannique acide et féroce Mark Ravenhill.

Ce que disait Florent Coudeyrat sur le contenu et le sens de la pièce est bien sûr toujours d’actualité. Elle parle du temps qui passe sur les collectifs d’artistes, de sa sournoise érosion sur leurs sentiments, sur leurs illusions d’amitié indestructible. Elle parle du succès qui en choisit un au dépend des autres, des mesquineries et des jalousies qu’il fait naître, insérant un fruit pourri dans le lot. Pire, de son effet révélateur : que sont devenus les rêves et les ambitions ? Sont-ils encore des artistes vingt ans après quand personne à part eux ne les reconnaît comme tels ? Sont-ils encore des amis ? Qu’est-ce qui les lie, à part la connaissance intime de leur médiocrité, la chaleur artificielle des fêtes endiablées avec abus d’alcool, de sexe et de drogue, le silence commun qui les soude ?

Ravenhill peint ici au vitriol le monde frelaté de l’art contemporain et dénonce au passage son effet délétère sur ceux qui en sont les élus comme sur ceux qui restent sur la touche. Si le terrible accident dont est victime celle qui a réussi offre l’occasion de mettre au jour la joie mauvaise de ses « amis » pour une fois en position de supériorité, il prouve aussi, quand elle a récupéré l’usage de son corps, son mépris écrasant et son indifférence pour ceux-là mêmes qui lui sont venus en aide, malgré tout. On a beaucoup parlé de Nan Goldin comme support de ce personnage sans que rien dans sa biographie ne s’y prêtestricto sensu.

Vivre à en mourir, rire malgré tout

Par contre, c’est bien l’évocation d’une époque marquée par le fléau du sida et une esthétique aux couleurs vives. Le décor fait penser à un studio de cinéma sur lequel sont projetées des photographies en un flot ininterrompu. Comme pour tous les albums de photos de famille ou les soirées diapo, cela a pour principale mission de gommer les mauvais souvenirs, d’effacer par exemple l’absent mort récemment du sida et de mettre en évidence des valeurs pas si solides que ça, la jeunesse, la rigolade, la fête en un mot. La vie telle qu’elle passe et que la photographiait Nan Goldin.

Et si la pièce parle d’un groupe d’artistes qui se fissure, celui qui construit le spectacle est bien un collectif de comédiens, musicien, danseuse, vidéaste, qui se revendiquent performeurs. Et c’est à ce niveau que cette Piscine est la plus riche : la musique jouée en direct, loin d’apporter une touche d’ambiance, tient une place entière grâce à Olivier Kikteff dont le rock manouche est ensorcelant. Cécile Auxire-Marmouget lui donne un espace loin d’être accessoire. De même, le travail des lumières et la photographie sont d’une précision professionnelle. Caroline Lhuillier-Combal qui incarne l’accidentée effectue là une prestation troublante de vérité et très touchante. Tous sont « employés » dans leur compétence singulière et dans leur complémentarité. Deux acteurs portent sur leurs épaules le poids du texte, la metteuse en scène elle-même qui fait un numéro extraordinaire de drôlerie, et David Ayala dont le rôle très difficile de bon vivant bruyant et extraverti aurait peut-être mérité un peu plus de nuances. Au final, un spectacle qui se revendique hybride et qui apparaît comme profondément novateur dans sa construction. Une interprétation très personnelle et forte à la hauteur de l’auteur décapant Mark Ravenhill. Une compagnie, Gazoline, dont il faudra suivre l’évolution. 

Trina Mounier

Piscine (pas d’eau) : les balbutiements
du ciment

Par Anaïs Mottet, L’envolée culturelle

Le théâtre des Célestins présente du 3 au 13 février la pièce Piscine (pas d’eau) de Mark
Ravenhill, mise en scène par Cécile Auxire-Marmouget. La compagnie Gazoline joue ce
monologue à plusieurs voix d’une manière extravagante, drôle et juste. Allez découvrir cette
pièce qui passe le monde de l’art au vitriol !

L’art et la manière
On pense venir voir une pièce et c’est un diaporama photos qui se déroule devant nos yeux. Le
musicien joue des airs sympas sur fond de photos jaunies par le temps. Des jours heureux
probablement, les jours d’avant. Personnages délurés qui font la fête, cherchent leur art et
vivent de soleil et de bières. Le film photo est plus qu’un décor : il créé une ambiance et prend
en charge la narration. On voit les caractères se dessiner petit à petit. Il fait pleinement partie
de la scénographie. L’installation permet de passer d’une scène à l’autre sans trop de
difficultés, le décor est composé d’éléments disparates : le bord d’une piscine carrelée, qui
peut servir de banc et de podium de défilé, un coin musique pour les concerts… Une
installation qui permet de tout faire, qui évoque plus qu’elle n’illustre (l’hôpital, la piscine…).

Quand un corps s’élève, l’autre décline
Le groupe. Tout tourne autour du groupe dans cette pièce. Un groupe d’artistes bohèmes qui
se sont jurés d’être toujours « le groupe ». On les découvre, quelques années plus tard, aigris,
le temps étant passé par là. La perte des uns et des autres fût dévastatrice : la maladie, la
défonce, mais le pire : le succès. C’est cela le plus difficile à encaisser, que l’une s’envole et que
les autres soient contraints de rester.
«Vous voyez, comme on est méchants. Nous sommes des gens méchants. Bien sûr, on aurait pu être
autrement. Bien sûr. On aurait pu. Si seulement nous avions utilisé notre Art pour faire le bien. Mais
au lieu de ça, nous cultivions… Et je crois que nous avons toujours cultivé, vous savez depuis la dèche, toujours nourri… À présent nous reflétons… Ce n’est pas étrange ? Pendant tout ce temps, elle
était notre amie, pendant tout ce temps, et pourtant nous cultivions la plus horrible… Enfin je crois,
une haine… Une haine meurtrière. C’est bien le mot. Et c’est horrible. C’est vraiment atroce. Oui – et il
faut oublier ça. Il le faut. Lorsque nous travaillons sur les bébés nés de parents héroïnomanes, mais
aussi dans notre attitude envers elle. Il faut l’embrasser. Il faut l’aimer. Il faut aller de l’avant, oublier
le passé et oublier la méchanceté et aller de l’avant dans notre amour pour elle. « Vous êtes tous
lessivés », elle a dit. « Vous êtes tous épuisés », elle a dit. « Physiquement et mentalement et
l’émotion. Alors venez à la piscine. S’il vous plaît. S’il vous plaît. Venez. C’est le moins que je puisse
faire. » Et donc nous disons : oui. Oh et oublions la haine, oublions la mort, oublions tout ça. La
piiiiiiscine. (…)»

La piscine est le lieu de cristallisation de cette ambivalence. Quand leur amie s’écrase dans le
fond de la piscine sans eau ce n’est pas de la compassion qu’ils expriment, ni de la joie mais
une très grande satisfaction, un sentiment de justice. C’est toute la bassesse de l’envie et de la
jalousie qui s’exprime dans cette scène. On rit jaune et puis on rit. Les acteurs sont excellents,
le texte est à la fois aberrant et plein de vérités sur la nature humaine, sur son côté cynique et
destructeur. On va plus loin avec eux dans l’hypocrisie, dans l’instrumentalisation du malheur,
dans les délires toxico. Chacun à son tour prend en charge la pensée du groupe pour clamer
haut et fort ce que les autres n’osent pas dire. Ils se mettent à nu, au sens propre et au sens
figuré, aucune pudeur, aucun sentiment de honte, ou alors très furtif. Avec tous leurs défauts,
leur lâcheté… Ils sont attachants.
Parce qu’ils nous ressemblent tant. C’est le côté cathartique de la pièce. Piscine (pas d’eau) c’est
quand l’âme humaine passe du côté obscur et que le mauvais est exacerbé, c’est quand l’art
n’est plus et ne suffit plus à remplir une vie, à lier un groupe. Cette pièce à l’humour décapant
est surprenante d’intelligence.
Anaïs Mottet